Plaidoyer pour le maintien des écoles ouvertes, les sociétés savantes de pédiatrie se mobilisent

La Société Française de Pédiatrie et ses sociétés filles (Groupe de Pathologie Infectieuse Pédiatrique, Société Française de Pédiatrie Médico-Légale, Groupe de Pédiatrie Générale sociale et environnementale et l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire) se mobilisent pour le maintien des écoles ouvertes et la défense des intérêts des enfants et des adolescents dans le débat publique.

L’ensemble de la communauté pédiatrique prône la plus grande vigilance à ce stade de la pandémie et se tient prêt à s’impliquer dans une politique de dépistage intensifiée et coordonnée afin de produire en temps réel des données pédiatriques de qualité sur lesquelles les autorités pourraient s’appuyer pour des décisions basées sur les preuves. La balance bénéfice-risque apparait à ce jour très en faveur du maintien de l’ouverture des écoles et des collectivités pour les enfants dont la santé mentale et sociale ne doit pas être sacrifiée en contexte pandémique mais rester une priorité sanitaire au regard des enjeux pour les années à venir. Nous avons le devoir de protéger la santé globale des plus jeunes.

25 janvier 2021
Plaidoyer pour le maintien des écoles ouvertes, les sociétés savantes de pédiatrie se mobilisent
Société Française de Pédiatrie et ses sociétés filles : Groupe de Pathologie Infectieuse Pédiatrique, Société Française de Pédiatrie Médico-Légale, Groupe de Pédiatrie Générale sociale et environnementale et l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire
 

INTRODUCTION
Alors qu’un troisième confinement est en discussion en France, les pédiatres, pédopsychiatres et services d’urgences pédiatriques de tout le pays observent depuis quelques semaines une augmentation sans précédent des consultations ambulatoires et hospitalières, admissions aux urgences et hospitalisations pour motifs psychiatriques tels qu’anxiété, idées noires ou gestes suicidaires, souvent dans un contexte de maltraitance. Les services d’hospitalisation habituellement surchargés à cette période d’enfants atteints de pathologies infectieuses (bronchiolites, gastro-entérite) le sont cette année encore mais d’enfants maltraités, déprimés, anxieux et suicidaires. Les inégalités sociales de santé jouent un rôle majeur dans cette pathologie pédopsychiatrique qui touche les plus vulnérables et des familles où les confinements successifs n’ont fait qu’accentuer des difficultés pré existantes (1). Un an après le début de la pandémie un paradoxe doit interpeller : alors que les enfants ne meurent pas de la COVID-19, un grand nombre est en grande souffrance psychologique et disent avoir envie de mourir (2,3). Nos collègues anglais redoutaient dès avril 2020 une possible « seconde pandémie » de maltraitance, aussi redoutable que la première, car touchant avec une lourde morbidité cette fois les enfants, qui sont les adultes de demain (4). Dans ce contexte, et contrairement aux connaissances dont on disposait en mars 2020, la perspective d’un nouveau confinement avec fermeture des écoles, crèches, collectivités et milieux socio-éducatifs laisse craindre une aggravation des effets délétères indirects de la pandémie déjà objectivés par de nombreux pays sur la santé mentale et sociale des enfants (2), alors que les bénéfices attendus dans la lutte contre la diffusion de ce virus, définitivement très différent des autres, demeurent hypothétiques (5).


Une position unanime des pédiatres pour un retour en collectivité dès mai 2020 (6)
Dès les premiers mois de la pandémie, anticipant les conséquences éducationnelles, psychologiques, sanitaires et sociales, l’ensemble des pédiatres français s’est mobilisé pour le maintien de l’ouverture des écoles et des crèches. Ce combat fut difficile car, sur le modèle de la grippe, persistait l’idée que les enfants pouvaient jouer un rôle important dans la dynamique de cette épidémie. Depuis, d’innombrables études publiées dans des revues scientifiques de haut niveau, dans tous les pays et sur tous les continents, ont confirmé que les enfants de moins de 11 ans, non seulement présentaient beaucoup moins de formes graves, mais étaient aussi moins contaminés et beaucoup moins contaminants (7-8). L’immense majorité des enfants s’infecte au sein des cellules familiales et non pas dans les écoles et/ou les crèches (9). Les raisons et les différents mécanismes en jeu dans cette particularité ont déjà été détaillés ailleurs (5,10).
 

Quels sont les enseignements disponibles depuis la rentrée de septembre 2020 ?
En Suède où les crèches et les écoles sont restées ouvertes sans port du masque, on observe que les enseignants d'enfant âgés de 7-16 ans avaient deux fois moins de risque de COVID 19 que les adultes exerçant d'autres métiers (0,43 intervalle de confiance à 95% : 0,28 à 0,68) (11). Les données rapportées depuis Israël sont également concordantes : l’ouverture des écoles ne semble pas avoir de rôle majeur ni dans la résurgence de l’épidémie ni dans l’augmentation des hospitalisations ou décès, contrairement à ce qui est observé lors de réouvertures de rassemblement d’adultes (12). Les données du Ministère français de l’Education nationale confirment la très faible contamination des enseignants (0,09 à 0,18%) et le très faible nombre de classes ou écoles fermées depuis la rentrée scolaire de septembre 2020 (respectivement 0,06-0,2% et 0,14-0,04%) (13).


Quel serait le rationnel pour garder ouvertes les écoles et collectivités ?
Les partisans d’une fermeture prolongée des écoles et des crèches s’appuient sur certaines hypothèses et publications scientifiques :
- la charge virale des enfants dont la PCR est positive est comparable à celles des adultes, supérieure dans une seule étude (14) ;
- dans certaines conditions, sans mesure de prévention adéquate (colonies de vacances, dortoirs …), un pourcentage important d’enfants a pu être infecté (15).
Les adeptes d’’une fermeture prolongée des écoles et des crèches reconnaissent cependant qu’il n’y a eu qu’exceptionnellement des décès, séjours en réanimation et très peu d’hospitalisations en pédiatrie dues aux complications de la COVID-19. Ils arguent toutefois que les raisons essentielles de l’incidence plus faible chez l’enfant dans tous les pays résident dans le fait qu’ils ne seraient pas autant prélevés que les adultes et que les formes asymptomatiques sont prédominantes chez eux. Cet argument n’est pourtant pas recevable pour les multiples raisons suivantes :
i) En France, depuis plusieurs mois, différentes équipes ont montré que le taux de positivité des enfants hospitalisés et systématiquement testés (avec ou sans symptômes évocateurs de la Covid-19) était très bas (16).
ii) De même, les analyses préliminaires de l’étude INCOVPED, menée au printemps et pratiquant une PCR chez tous les enfants admis dans 8 services d’urgences pédiatriques français quel que soit le motif (traumatologie et ou chirurgie) rapportent moins de 0,5% de cas positifs pour le Sars-Cov-2 parmi environ 900 enfants testés (17).
iii) Enfin, les tests largement réalisés chez les enfants selon l’algorithme préconisé par la SFP et l’AFPA pour favoriser un dépistage large des enfants présentant de la fièvre et/ou des signes respiratoires et/ou digestifs ont permis de trouver souvent d’autre virus respiratoires mais rarement le Sars-CoV-2 (18).
Les variants plus transmissibles (Anglais B.1.1.7, Sud-Africains 501.Y.V2, Brésiliens) doivent-ils faire reconsidérer notre position ?
C’est une possibilité parce que ces variants sont plus contagieux à tout âge, y compris chez l’enfant, mais pas plus chez l’enfant et imposent à la fois un meilleur suivi des mesures de prévention déjà existantes, mais aussi un renforcement de certaines d’entre elles, quel que soit l’âge (19). Ces variants nécessitent ainsi une meilleure politique de testing plus qualitative que quantitative avec plus de traçage et d’isolement (5). Pour autant, il n’existe pas de certitude au sujet de l’impact de ces variants sur l’enfant car le gradient de transmissibilité des adultes vers les enfants persiste et que les enfants pourraient rester peu contaminés et rarement contaminants.
CONCLUSION
L’ensemble de la communauté pédiatrique prône la plus grande vigilance à ce stade de la pandémie et se tient prêt à s’impliquer dans une politique de dépistage intensifiée et coordonnée afin de produire en temps réel des données pédiatriques de qualité sur lesquelles les autorités pourraient s’appuyer pour des décisions basées sur les preuves. La balance bénéfice-risque apparait à ce jour très en faveur du maintien de l’ouverture des écoles et des collectivités pour les enfants dont la santé mentale et sociale ne doit pas être sacrifiée en contexte pandémique mais rester une priorité sanitaire au regard des enjeux pour les années à venir. Nous avons le devoir de protéger la santé globale des plus jeunes.

REFERENCES
1. Amerio A, Aguglia A, Odone A, Gianfredi V, Serafini G, Signorelli C, Amore M. Covid-19 pandemic impact on mental health of vulnerable populations. Acta Biomed. 2020 Jul 20;91(9-S):95-96.
2. Green P. Risks to children and young people during covid-19 pandemic. BMJ. 2020 Apr 28;369:m1669.
6
3. Caron F, Plancq MC, Tourneux P, Gouron R, Klein C. Was child abuse underdetected during the COVID-19 lockdown? Arch Pediatr. 2020 Oct;27(7):399-400.
4. Adams C. Is a secondary pandemic on its way? Institute of Health Visiting, London, 6 April 2020. https://ihv.org.uk/news-and-views/voices/is-a-secondary-pandemic-on-its-way/
5. Dyanis Lewis. What new COVID variants mean for schools is not yet clear. Nature 2021 Jan doi.org/10.1038/d41586-021-00139-3
6. COVID19 et écoles ; Propositions de la Société Française de Pédiatrie https://www.sfpediatrie.com/sites/www.sfpediatrie.com/files/medias/documents/propositions_27102020_def.pdf
7. Davies, N. G. Klepac P, Liu Y, Prem K, Jit M et al. Age-dependent effects in the transmission and control of COVID-19 epidemics. Nature Med.2020 Aug 26 (8) : 1205–1211
8. Viner, R. M. Mytton OT, Bonell C et al. Susceptibility to SARS-CoV-2 Infection Among Children and Adolescents Compared With Adults: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Pediatr. Sept 25, 2020 https://doi.org/10.1001/jamapediatrics.2020.4573 (2020)
9. Laws RL, Chancey RJ, Rabold EM, et al.Symptoms and transmission of SARS-CoV-2 among children- Utah and Wisconsin, March-May 2020. Pediatrics 147, number 1, January 2021:e2020027268.
10. Chan, K. K., Tan, T. J. C., Narayanan, K. K, Procko, E. Preprint at bioRxiv https://doi.org/10.1101/2020.10.18.344622 (2020)
11. Ludvigsson JF, Engerström L, Nordenhäll C, Larsson E. Open Schools, Covid-19, and Child and Teacher Morbidity in Sweden. New England Journal of Medecine. Jan 2021.
https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMc2026670)
12. Somekh I, Shohat T, Keinan Boker L, et al. Reopening Schools and the Dynamics of SARS-CoV-2 Infections in Israel: A Nationwide Study. Clinical Infectious Diseases, 18 January 2021. ciab035,https://doi.org/10.1093/cid/ciab035
13. Cas d’infections COVID 19 parmi les équipes enseignantes et fermetures de classes depuis septembre 2021. Données du Ministère de l'éducation 14. Heald-Sargent, Muller WJ, Zheng X et al. Age-Related Differences in Nasopharyngeal Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) Levels in Patients With Mild to Moderate Coronavirus Disease 2019 (COVID-19). JAMA Pediatr 2020 Jul 30;e203651
15. Szablewski CM, Chang KT, Brown MM, Chu VT, Yousaf AR, Anyalechi N, et al. SARS-CoV-2 Transmission and Infection Among Attendees of an Overnight Camp -
7
Georgia, June 2020. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2020 Aug 7;69(31):1023-1025. doi: 10.15585/mmwr.mm6931e1.
16. Levy C, Basmaci R, Bensaid P, Bost-Bru C, Coinde E, Dessioux E et al. Changes in Reverse Transcription Polymerase Chain Reaction-positive Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 Rates in Adults and Children According to the Epidemic Stages Pediatr Infect Dis J 2020 Nov;39(11):e369-e372. 17. Dubos F, Joannes F, Gras-Le Guen C, Haas H, Chinazzo-Vigouroux M, Brehin C. Prevalence of Covid-19 in Children Admitted to Paediatric Emergency Departments During the Pandemic Period in France. Clin Trial NCT04336761.
18. Algorithmes diagnostiques GPIP/SFP: https://www.sfpediatrie.com/actualites/propositions-societes-savantes-pediatrie-indications-pcr-covid-19-enfants
19. Public Health England investigation of novel SARS-COV-2 variant
https://scholar.google.fr/scholar?q=20.%09Public+Health+England+investigation+of+novel+SARS-COV-2+variant&hl=fr&as_sdt=0&as_vis=1&oi=scholart