Compte-rendu des échanges avec le Président Emmanuel Macron du 23 décembre 2022

 

 

Chères et Chers Collègues de la Société Française de Pédiatrie, de l’AFPA et du Conseil National Professionnel de Pédiatrie

Le 23 décembre 2022, le Président Emmanuel Macron a rencontré un groupe de 8 soignants en pédiatrie afin d’échanger sur la situation de crise sans précédent dont il avait été informé à plusieurs reprises. Cette rencontre a eu lieu à l’Elysée durant une heure trente en présence du ministre de la santé Dr François Braun, d’Adrien Taquet, ancien secrétaire d’État à l’enfance et aux familles co-responsable des assises de pédiatrie, de Mme Katia Julienne conseillère santé du Président et de M. Pierre-André Imbert secrétaire général adjoint de la présidence. Les représentants des pédiatres et puériculteurs étaient :

  • Pr Isabelle Desguerre, chef de service de neuropédiatrie à Necker, membre du Collectif Inter Hospitalier (CIH) de pédiatrie
  • Pr Christèle Gras Le Guen, chef de service de pédiatre générale et urgences pédiatriques au CHU de Nantes, co-responsable des assises de pédiatrie, présidente de la Société Française de Pédiatrie, vice-présidente du Conseil National des Professionnels de Pédiatrie (CNPP)
  • Pr Etienne Javouhey, chef de service de réanimation Pédiatrique, Hospices civils de Lyon, ex président du Groupe Francophone de Réanimation et Urgence Pédiatrique (GFRUP)
  • Dr Fabienne Kochert, pédiatre libéral à Orléans ex présidente de l’AFPA, vice-présidente du Conseil National des Professionnels de Pédiatrie (CNPP)
  • Dr Pascal Le Roux, chef de service de pédiatrie, ex Président de CME au CH du Havre, secrétaire général du Conseil National Professionnel de Pédiatrie (CNPP)
  • Pr Rémi Salomon, chef de service de néphrologie pédiatrique à Necker (APHP), président de la CME de l’APHP et de la conférence des présidents de CME de CHU
  • Marion Sinet, puéricultrice infirmière en réanimation à Trousseau (APHP), membre du CIH pédiatrie
  • Dr Jérôme Valleteau de Moulliac, pédiatre libéral à Paris.

 

Voici donc le résumé des échanges et les points importants abordés.

Chaque soignant a été invité par le Président à prendre la parole et exposer les difficultés et aussi les mesures susceptibles d’améliorer la situation de crise en pédiatrie. Christèle Gras Le Guen (CGL) a commencé au nom de la SFP en remerciant le Président de cette possibilité d’échanges en direct qui nous tenait à cœur. Elle a ensuite insisté sur la gravité sans précédent de la situation du fait bien sûr de l’hyper crise dans les services hospitaliers mais aussi de l’augmentation de nouveau de la mortalité infantile entre 2012 et 2019 en précisant que ces 2 alertes n’étaient pourtant que la partie visible d’un dysfonctionnement beaucoup plus profond de tout le système de santé de l’enfant délaissé depuis plusieurs décennies selon l’expression consacrée : « petits enfants = petites maladies = petits moyens ». Les modifications sociologiques profondes post COVID ont contribué aussi au dysfonctionnement d’un système de soin devenu inadapté aux besoins de santé des enfants et au milieu duquel la permanence des soins (PDS) constitue un écueil majeur. Alors que les patients affluent par centaines vers des services d’urgences déjà saturés de patients en attente d’hospitalisation, les gardes sont devenues « insupportables » pour les soignants qui choisissent pour certains de quitter leurs postes hospitaliers pour sauvegarder des équilibres familiaux menacés par les conséquences personnelles de la pénibilité extrême de ces nuits sans sommeil vécues comme des « missions impossibles » où la sécurité des patients n’est plus garantie. CGL a également évoqué la question spécifique de la périnatologie où, selon une enquête menée en 2022 auprès de 721 néonatologues français (77% de femmes dont la moitié sont âgés de moins de 50 ans) 80% des pédiatres interrogés travaillent plus de 50 heures hebdomadaires, et 13% plus de 75 heures par semaine, 47% font 5 gardes ou plus par mois et 20% travaillent 3 ou 4 weekends par mois. Des troubles du sommeil sont déclarés par 49% des médecins interrogés en lien avec leur travail, 55% des médecins déclarent ne pas être satisfaits de leur qualité de vie au travail. Parmi les motifs d’insatisfaction, le sentiment d’insécurité, un temps de travail trop élevé (68,9%) et la rémunération jugée insuffisante (47,8%) sont les plus cités. L’attractivité des postes en CHG et néonatologie en général pourrait nécessiter une diminution du nombre des fronts de garde assortie d’une optimisation des transports faute de pouvoir maintenir ce rythme de PDS sur tout le territoire.

CGL a terminé cette introduction en remerciant le Ministre de la santé pour sa proposition d’organiser des Assises de la santé de l’enfant qu’elle est très honorée de co-présider avec Mr Adrien Taquet. Ces Assises constituent une opportunité historique d’amélioration de la santé des 0-18 ans et génèrent aussi beaucoup d’espoirs qu’il nous faut ne pas décevoir. Elle a enfin sollicité le soutien du Président pour que les propositions qui seront retenues par le Ministre de la santé au printemps 2023 puissent être mises en œuvre et ne restent pas des vœux pieux afin de ne pas manquer ce rendez-vous historique avec la santé de nos futurs citoyens.

 

Les différents sujets d’inquiétudes ont ensuite été abordés par les pédiatres et la puéricultrice présents :

  • Manque d’attractivité pour les soignants (surtout infirmiers en CHU et médecins en CHG) à l’hôpital (risque majeur de voir des équipes entières s’effondrer en CHG par manque d’infirmières, puéricultrices, aides-soignants, kinésithérapeute, psychologue, etc…) mais également manque de pédiatres et de médecins généralistes en ville. Perte d’attractivité de la profession de pédiatre pour les étudiants en médecine
  • Manque de lits d’aval (fermeture par manque de personnel infirmier), surcharge des urgences, dégradation des soins et de la prévention.
  • Lourdeur de la permanence des soins devenue insupportable pour les équipes hospitalières, en particulier dans les hôpitaux de taille modeste (hôpitaux généraux) ou les gardes sont plus nombreuses.
  • Défaut de reconnaissance des soins de l’enfant en ville comme à l’hôpital, de sa vulnérabilité, de ses spécificités et de ses besoins : permanence des soins, néonatalogie, réanimation, maladies rares et chroniques, chirurgie pédiatrique, pédopsychiatrie, nécessité d’un temps long pour les consultations en ville. Une amélioration du financement des activités pédiatriques à l’hôpital est indispensable pour prendre en compte ces spécificités (T2A valorisante)
  • Demande de ratios soignants/ soignés dont l’absence est un des éléments principaux de la pénibilité et du sentiment, que tout le monde exprime, d’une perte de sens du métier.
  • Défaut de formation initiale en pédiatrie pour les infirmiers et absence d’encouragement pour les paramédicaux travaillant en pédiatrie à poursuivre une spécialisation (puéricultrice, expertise de soins complexes, infirmières en pratique avancée).
  • Problème du suivi des enfants en ville par manque de pédiatres et de médecins généralistes, départs en retraite non remplacés, beaucoup d’enfants vulnérables n’ont plus ni pédiatre ni médecin traitant, PMI dépassée alors que leur rôle dans la prévention est majeur. Manque de moyens dans les CMP et CMPP
  • Défaut d’accès pour les pédiatres libéraux au travail aidé par des assistants médicaux
  • Nécessité de repenser l’organisation de l’offre de soins pédiatriques sur le territoire

 

Si la question de la pédiatrie a été au centre des discussions, nous avons précisé que la situation était également très critique dans les autres disciplines pour les mêmes raisons (pédopsychiatrie, chirurgie infantile, anesthésie pédiatrique…) avec les mêmes risques à court et plus long terme. Nous avons également insisté sur l’enjeu essentiel de la formation de l’ensemble des professions de santé avec une analyse des besoins par filières et par territoire.

Nous avons tous exprimé le souhait que les assises de la santé de l’enfant soient l’occasion d’élaborer collectivement des réformes en profondeur, mais au regard de la gravité de la situation actuelle, nous attendons également du Président de la République, dès maintenant, une parole forte et l’annonce de mesures qui seront de nature à donner aux soignants qui expriment aujourd’hui un sentiment d’abandon, l’espoir d’une amélioration prochaine des conditions d’exercice et d’une revalorisation significative de la permanence des soins et d’une meilleure reconnaissance de l’ensemble des soins de l’enfant de la naissance à 18 ans.

Le Président a eu une écoute attentive à nos prises de paroles et nos propositions. Il avait déjà conscience de la gravité de la situation actuelle ainsi que la nécessité de mesures concrètes et rapides.

Il propose ainsi une première strate de mesures d’urgence, pas spécifiques à la pédiatrie. Il parle de réparer l’hôpital, de « chirurgie réparatrice », de réponse urgente sans attente les résultats des assises de la santé de l’Enfant.

Parmi les pistes évoquées, il dit avoir observé lors de ses déplacements un problème majeur de coopération inter métiers, l’absence d’incitation à se parler entre la ville et l’hôpital qu’il faut pouvoir établir et l importance des Conseils Nationaux pour la Refondation (CNR) territoriaux pour assurer la permanence des soins, les consultations non programmées et la coopération ville-hôpital. Il s’agit avant tout d’une dynamique humaine et de responsabilités collectives et partagées. Il insiste sur l’importance d’un travail selon une logique territoriale et collaborative.

Il souligne aussi que si des mesures financières peuvent être nécessaires, elles ne seront pas suffisantes à tout résoudre. Il cite les mesures du SEGUR qui ont apporté un renfort financier d’un montant historique pour renflouer l’hôpital sans que cette mesure n’ait semblée significative pour les soignants tant le retard était majeur et le système déjà défaillant (pour mémoire :  décision de 8,2 milliards d’euros par an pour revaloriser les métiers des établissements de santé et des EHPAD, et reconnaître l’engagement des soignants au service de la santé des Français). La vraie logique selon lui, c’est la rémunération sur des objectifs de santé populationnelle et non sur la T2A en prenant en compte la lourdeur des soins et le temps soignant passé.

La seconde strate serait celle des travaux des Assises de la santé de l’enfant et aussi de savoir comment garder les soignants à l’hôpital, limiter la « perte de masse musculaire » ou inciter au retour ceux qui sont partis ? Il est bien conscient de devoir créer un système qui a du sens collectivement et limiter le recours à l’intérim pour ne pas entretenir un système inégalitaire pour les soignants titulaires. Il insiste sur la nécessité d’une stratégie coopérative pour accompagner les mesures correctives et aussi la nécessité de positiver ce qui mérite de l’être pour ne pas alimenter la sinistrose et donner aux jeunes soignants l’envie de rejoindre les équipes hospitalières. Plutôt que des ratio soignés/soignants il propose la notion de seuils critiques en dessous desquels on ne pourrait pas descendre. Il propose un système qui mettrait plutôt en valeur le sens des métiers, la reconnaissance et la responsabilité des soignants. La question des logements et des transports est également évoquée. Comment gérer les carrières ? Il parle d’un énorme sujet de formation où la pratique devrait être intégrée plus tôt sous la forme d’un compagnonnage.

Enfin, il annonce pour janvier 2023 des mesures visant à apporter considération, reconnaissance et moyens aux soignants.